B13 - Les financements innovants

9 février 2012

1) De quoi s’agit-il ?

Il s’agit de mettre en place des mécanismes de financements originaux d’un type nouveau qui permettent de collecter des fonds pour le développement en plus des financements traditionnels de l’APD (Aide Publique au Développement) apportée par les Etats ou des organismes internationaux.
Ces mécanismes présentent par rapport à l’APD, laquelle est aléatoire, stagne et dépend de la situation politique et économique des pays, l’avantage d’être plus prévisibles, stables et réguliers.
Ils sont aussi parfois liés dans leur présentation à l’idée de biens publics mondiaux et destinés à corriger une partie des effets négatifs de la mondialisation. Ils peuvent s’appliquer à toutes les actions de solidarité, mais certains sont dédiés exclusivement à l’accès à l’eau et à l’assainissement.

Les prêts bancaires, le microcrédit et les dons apportés par les associations, les ONG, les fondations, etc... sont des financements additionnels très intéressants et utiles, mais n’étant pas nouveaux, ils ne sont pas considérés ici comme des financements innovants.

2) Qui utilise surtout ce moyen et depuis quand ?

Certains financements innovants qui ont déjà été mis en place pour des actions de développement sont dédiés à des domaines spécifiques comme la santé (exemple : la taxe sur les billets d’avion, laquelle rapporte en France une centaine de millions €/an) ou l’accès à l’eau et à l’assainissement. D’autres mécanismes sont actuellement fortement envisagés et devraient voir le jour assez prochainement lorsque leurs modalités de mise en vigueur seront approuvées par les gouvernements.

3) Pourquoi ?

Si l’on s’en tient au seul domaine de l’accès à l’eau et à l’assainissement, la communauté internationale s’est engagée en l’an 2000 à réduire d’ici 2015 de moitié la population n’ayant pas accès à l’eau potable et à un assainissement de base (objectifs du millénaire pour le développement). Ils ne seront pas atteints à part dans certains pays d’Asie faute de financements suffisants. Les coûts supplémentaires nécessaires à la réalisation des OMD pour l’eau et l’assainissement sont estimés à près de 9 milliards € par an.
Or, L’APD mondiale, dont le montant « Eau et Assainissement » s élevait en 2011 à seulement 3,75 milliard € ne permettra pas de répondre à ce défi majeur. La recherche de nouveaux instruments de financements pour la solidarité devient donc indispensable mais elle ne devra évidemment pas se substituer aux financements traditionnels.
 

4) Qui est surtout concerné ? Lieux ou contextes dans lesquels ce moyen parait le mieux adapté

Les financements innovants sont destinés aux pays en développement et en particulier aux collectivités locales les plus pauvres, qui n’ont pas, ou insuffisamment, accès aux financements traditionnels.

5) En quoi consiste ce procédé ? Comment est-il mis en oeuvre ?

Il existe différents types de financements innovants et additionnels. Parmi ceux-ci, les trois principaux sont :

Les mécanismes de « coopération décentralisée », dont les modalités sont déjà définies et opérationnelles dans certains pays.
La taxe sur les transactions financières dont le principe est soutenu par de nombreux états mais qui tarde à se mettre en place.
La compensation carbone

a) La « coopération décentralisée » pour l’eau et l’assainissement

L’appellation de « coopération décentralisée » s’applique aux programmes de coopération et de solidarité entrepris dans une région ou une commune d’un pays du nord en faveur du développement d’une autre dans un pays en développement

Le principe d’une telle aide consiste à financer des projets via un prélèvement sur les recettes des services d’eau et d’assainissement. Très souvent, l’aide financière est complétée par un transfert de compétences pour des actions de formation ou d’augmentation des capacités en faveur des populations concernées. Plusieurs pays européens ont mis en place de tels mécanismes dont les modalités peuvent être différentes suivant la législation des pays.
Ainsi, en France, la loi « Oudin-Santini » autorise les collectivités territoriales à prélever jusqu’à 1% des recettes hors taxes pour le financement d’ actions de solidarité dans l’eau et l’assainissement. Une loi similaire (motion Koppejan) existe aux Pays-Bas.
 La notion du 1% solidaire est promue par plusieurs plateformes internationales.
Les fonds ainsi collectés sont assez souvent attribués dans le cadre d’un partenariat entre une collectivité du Nord et une collectivité du Sud. Ces partenariats font éclore des synergies ainsi qu’un échange fécond de connaissances et d’expertise qui profitent à toutes les parties impliquées.
Ce mécanisme présente le grand avantage, en suscitant l’aide d’autres organismes (ONG, Fondations privées, agences de l’eau …), de générer un effet de levier financier important en permettant l’obtention d’autres financements plus importunts. Il représente actuellement en France un montant de l’ordre d’une trentaine de millions €/an.

b) La taxe sur les transactions financières (TTF)

Origine et Principe
Instaurer une taxe sur l’ensemble des transactions financières à l’échelon mondial n’est pas une idée si nouvelle. Elle a en effet été proposée pour la première fois en 1972 par James Tobin, prix Nobel d’économie, qui la limitait alors aux transactions sur les marchés de devises. Elle a été ensuitre élargie à l’ensemble des transactions et présentée en 2002 à la Conférence de Monterrey.
Mais bien qu’approuvée sur le plan des principes par plusieurs pays, elle n’a encore jamais été appliquée.
Une telle taxe, même assortie d’un taux très faible, permettrait de lever d’importantes nouvelles ressources financières pour les politiques de développement. Elle devrait normalement servir à financer les OMD ( objectifs mondiaux de développement), mais ils sont nombreux et nécessiteraient selon les estimations des Nations Unies 188 milliards de dollars /an d’ici 2015, auxquels s’ajoute une bonne centaine de milliards de dollars/an jusqu’en 2020 pour compenser les effets du changement climatique
Selon Oxfam France, cette taxe pourrait rapporter entre 200 et 600 milliards $ selon son assiette et les hypothèses adoptées.
Selon le Ministère français des Affaires étrangères, si la taxe ne concernait que les transactions sur les marchés des changes mondiaux et était limitée à un taux de cinq pour mille euros échangés, elle rapporterait environ 30 milliards de $/an. Ce serait donc une taxe très rentable.

 Avantages
- De telles ressources sont très importantes et techniquement assez faciles à prélever.
- Elles sont moins volatiles, plus stables et plus pérennes que l’APD.
- Elles faciliteraient la réalisation des OMD.
- Elles sont accessibles à des organismes ou associations d’importance moyenne qui peuvent y trouver là un
 moyen efficace de financer le développement de leurs programmes.

Inconvénients
- Elle risque, si elle est trop lourde, de peser sur l’économie mondiale.
- Prélever une taxe, c’est certes efficace mais bien l’affecter et le prévoir à l’avance, c’est sans doute aussi important. Il est en effet à craindre que tout le monde cherche à essayer de récupérer le maximum de tels fonds pour ses propres objectifs, que plusieurs Etats soient tentés de s’en servir en partie pour combler des déficits ou pour compenser la baisse de leur APD, ou encore de ne l’utiliser que pour certains projets coûteux de développement et bien peu pour les besoins les plus essentiels comme l’eau et l’assainissement, en particulier pour les populations les plus démunies.

c) Les financements correspondant aux Compensations Carbone

Principe
La « compensation carbone » est un mécanisme de financement par lequel une personne, ou plus souvent une entreprise, substitue totalement ou partiellement une réduction à la source de ses propres émissions en CO2, à laquelle elle est tenue par la législation de son pays, ou elle consent volontairement, en achetant auprès d’un tiers une quantité équivalente de « crédits carbone ».

Les pays en développement ne sont pas les plus gros émetteurs de dioxyde carbone, mais sont les premiers touchés par le réchauffement climatique. Pour les aider, le protocole de Kyoto a imaginé la création d’un fonds alimenté par un prélèvement sur les transactions de dioxyde de carbone. Ces transactions relèvent des « Mécanismes pour un développement propre »(Protocole de Kyoto) et permettent par exemple à une entreprise occidentale d’investir dans un programme permettant de réaliser des diminutions de rejet de CO2 dans un pays en développement, ce qui lui permet d’ être créditée en retour de l’équivalent financier estimé de la réduction des émissions de CO2 ainsi réalisée.
 

Modalités
L’entreprise finance un projet de développement dans un pays du sud permettant de réduire les émissions de gaz à effet de serre, par exemple en remplaçant un parc de pompes à eau motorisées par des pompes solaires. L’organisme qui le réalise le fait certifier auprès d’un organisme accrédité, lequel émet ensuite une « certification » ou un « bon carbone ». Remis à l’entreprise, ce certificat lui permet alors :
 -soit de le monnayer dans des bourses d’échange spécialisées, soit de l’utiliser pour compenser ses excès d’émission de CO2 si la législation l’y contraint,
 - soit de le faire simplement valoir dans son bilan ou dans un rapport précisant ses actions en matière de développement durable
D’autres initiatives plus novatrices sont actuellement à l’étude. Il faudra notamment prêter une attention particulière aux études en cours relatives à la taxation des échanges de quotas de CO2.

Avantages
- Ils permettent d’augmenter les programmes de développement ayant un impact sur le développement durable/
- Ils peuvent permettre d’obtenir des ressources assez conséquentes et à long terme pour une ONG.
- Ils représentent une solution d’avenir, peu coûteuse et bénéfique pour la planète.

Inconvénients
- Les mécanismes de certification et de valorisation des « bons carbone » sont divers et manquent encore de clarté et d’homogénéité. Ils sont souvent assez complexes, surtout à l’occasion d’une première utilisation.
- Il existe différents types de certification. La compensation volontaire de type « Gold standard » semblerait plus intéressante car elle permet une procédure allégée et moins coûteuse permettant de valoriser l’impact socio-économique d’un programme de développement.
- Le marché, insuffisamment encadré, des certifications carbone et des Bourses Carbone reste encore assez opaque. Des « traders du carbone » commencent à parcourir les pays du sud à la recherche d’affaires et l’on constate déjà certaines dérives.
- La complexité du processus et le manque de compétences dans les pays les moins avancés se traduisent par une faible utilisation encore dans ces pays

Exemples de réalisation
- L’ONG GERES qui cherche à favoriser les économies d’énergie a entre autres mis en place depuis 1997 dans plusieurs pays d’Afrique et au Cambodge des programmes conséquents de fabrication-vente de fours solaires performants (325 000 vendus en 2010, rentabilité au bout de 3 mois, économies d’énergie de 22%, 5 000 ha de forêts épargnés, 11 000 emplois créés). L’ONG a déjà obtenu des crédits carbone équivalant à 350 000 tonnes, ce qui lui a permis de financer la presque totalité du programme et de l’étendre.

- La Fondation Veolia Environnement a financé un programme important d’adduction d’eau dans 9 villages de la région de Tombouctou au Mali en les équipant tous de systèmes de pompage solaire. L’économie de CO2 réalisée et l’émission en contrepartie de certificats carbone a permis, non seulement de financer l’extension du programme mais de mettre en place un projet dédié à la certification carbone et visant en particulier à renforcer les capacités des services étatiques du Mali sur ce sujet.
 

d) Autres mécanismes

D’autres sources de financements innovants additionnels, ou davantage dirigés vers les plus pauvres, existent mais sont plus rares ou moins importantes.

Outre le microcrédit dont la technique et l’intérêt sont largement indiqués dans la fiche spécifique B11, signalons :

Les contrats de programmes OBA (Output based aid)
Ces nouveaux types de contrat proposés par la Banque mondiale sont décrits en détail dans la fiche B12 : « Les nouveaux contrats de délégation de service public incluant des objectifs sociaux ».
Rappelons qu’ils consistent à inciter des opérateurs à inclure dans leurs programmes des objectifs spécifiques d’accès à l’eau et à l’environnement des populations démunies (par exemple des branchements sociaux) et de les subventionner, mais uniquement en fonction de l’atteinte des objectifs fixés par le contrat.

La constitution de Fonds « Fidéicommis »
Définition du fideicommis : « contrat par lequel une personne (le constituant ou le disposant) transfère temporairement la propriété de biens ou de droits à une autre personne (le fiduciaire), à charge pour cette dernière d’agir dans l’intérêt du constituant ou d’autres bénéficiaires ou de la remettre à un tiers après un temps convenu et à des conditions déterminées ».

Signalée par l’OCDE comme un moyen intéressant d’obtenir davantage de capitaux, la constitution de Fonds Fidéicommis, dont peuvent bénéficier les communes ou leurs opérateurs (et qui peuvent être abondés par des apports de partenaires de la coopération afin d’aider les prestataires à étendre leurs services millions jusqu’aux quartiers pauvres des villes), a par exemple permis en Zambie de mobiliser suffisamment de fonds (huit millions € de la KfW allemande, de la Danida du Danemark et de l’UE) pour permettre l’accès à l’eau de 120 000 habitants de quartiers periurbains

Les garanties d’Etat
Assez souvent utilisées par exemple dans le domaine de la santé (par exemple pour l’organisation de campagnes de vaccination), elles ont aussi été parfois utilisées comme garanties d’achats futurs (par exemple de médicaments), permettant ainsi d’obtenir de bien meilleurs prix et des prêts plus avantageux.

Signalons enfin des dispositifs aussi divers que l’organisation de grandes loteries nationales (comme en Belgique et en Finlande), la taxation des eaux embouteillées (disposition qui a été adoptée en France mais uniquement en fait pour obtenir de nouvelles recettes fiscales..) ou d’autres biens.

6) Difficultés particulières et remèdes ou précautions à prendre

- En ce qui concerne la «  coopération décentralisée », les petites communes des pays développés ont des difficultés à monter ou à participer à des opérations de coopération décentralisée en raison des complexités d’ordre technique et juridique. Il leur est donc conseillé de rechercher l’appui d’une association ou d’une ONG qui se pourra se charger de réaliser le projet.

- Pour la taxe sur les transactions financières, son adoption devrait être mise en place à une échelle mondiale ou au moins sur plusieurs continents, ce qui implique une entente difficile à obtenir.
Une action isolée de quelques pays risquerait d’avoir des effets négatifs sur leur économie. En effet, si un pays très actif actuellement sur les marchés instaurait seul une telle taxe, il risquerait de faire fuir une partie de l’activité boursière vers d’autres pôles financiers moins taxés. Cette taxe doit donc être appliquée simultanément par les états ou Unions économiques les plus importants.

7) Exemples de réalisations

Voir ci-dessus.
 

8) Où s’adresser pour trouver davantage d’informations ?

a) Sites Internet

- Dossier du gouvernement français concernant les différents types de financements additionnels innovants pour le développement et la position des Nations unies sur ce sujet :
https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/politique-etrangere-de-la-france/aide-au-developpement/les-financements-innovants-pour-le-developpement/

- Coalition Eau : Se reporter au fichier pdf : « Promouvoir des politiques de financements ambitieuses et adaptées ». Disponible, en ligne, sur :
http://www.coalition-eau.org/wp-content/uploads/Promouvoir-des-politiques-de-financement.pdf

 - Ouvrage de Mr Alain A. Ndedi, expert en entrepreneuriat et stratégie et auteur du livre "Financements innovants et développement durable en Afrique". Il propose un certain nombre de pistes pour trouver des financements additionnels.
http://www.academia.edu/508448/Financements_innovants_et_D%C3%A9veloppement_Durable_en_Afrique

 - Description du mécanisme « compensation carbone » : 
 http://www.vedura.fr/economie/quota... -

Action Carbone : deux documents
 - « La compensation carbone » et son mode de calcul avec la Fondation Goodplanet
 http://www.actioncarbone.org/index....

 - Le document « Programme de cuiseurs solaires en Bolivie et au Pérou et compensation carbone ». Voir notamment les fiches Bolivie et Pérou avec l’tilisation du mode de certification volontaire Gold standard  : https://www.goodplanet.org/fr/projet/acces-a-lenergie/cuiseurs-solaires-bolivie-perou

b) Vidéo 

Daily Motion : « Découverte. La Bourse carbone », Vidéo de 12’ de Radio TV Canada expliquant l’intérêt, le mécanisme et le mode de négociation des certificats de compensation carbone.
http://www.dailymotion.com/video/xc...



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