E56 - L’irrigation par recyclage d’eaux usées

8 février 2012

1) De quoi s’agit-il ?

Il s’agit de l’utilisation des eaux usées, traitées ou pas, pour répondre aux besoins d’irrigation dans les activités agricoles. Ceci permet une économie des ressources hydriques en amont et une réduction de la pollution en aval. Par ailleurs, les eaux usées peuvent souvent constituer une source d’éléments nutritifs pour les plantations.

2) Qui utilise surtout ce moyen et depuis quand ? 

Le recyclage des eaux usées (REU) est une pratique très répandue dans les régions qui souffrent une pénurie des ressources en eau, dont les principaux exemples sont le Japon, le bassin méditerranéen (Israël, Tunisie, Chypre, Espagne), les Etats-Unis (surtout la Californie), mais aussi l’Asie et le Golfe Persique.

3) Pourquoi ?

L’irrigation peut augmenter la productivité des activités agricoles de 100% à 400% et permettre la pratique de certaines cultures dans des régions où les conditions environnementales ne sont pas favorables. Or, l’agriculture est responsable pour 70% des prélèvements d’eau, chiffre qui arrive à 95% dans certains pays en développement. Le recyclage des eaux usées représente une solution pour faire face à la demande croissante des ressources hydriques pour l’irrigation. En même temps, c’est une façon naturelle de réduire les impacts à l’environnement et de fournir les nutriments (surtout l’azote et le phosphore) qui fertiliseront le sol.

4) Qui est surtout concerné ? Lieux ou contextes dans lesquels ce moyen parait le mieux adapté

Le recyclage des eaux usées est adapté surtout aux régions qui ont des ressources en eau limitées par rapport à la demande existante. Et pourtant, certaines cultures sont plus adaptées que d’autres à cette technique en fonction des risques inhérents à la consommation des produits irrigués avec de l’eau recyclée.
Parmi les cultures où le REU s’applique, on trouve l’orge, le maïs, l’avoine, le coton, l’avocat, les choux, les laitues, la betterave à sucre, la canne à sucre, l’abricot, l’orange, la prune, la vigne, les fleurs et les bois.

La FAO (Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture) propose une classification des cultures en fonction du niveau de risque pour les consommateurs et pour les agriculteurs.

Risque faible
- Cultures industrielles non destinées à la consommation humaine (par exemple le coton, le sisal) ;
- Cultures traitées par la chaleur ou le séchage avant d’être destinées à la consommation humaine (par exemple les céréales, les oléagineux, les betteraves à sucre) ;
- Les légumes et les fruits cultivés exclusivement pour la mise en conserve ou autre traitement qui détruit efficacement les germes pathogènes ;
- Les cultures fourragères et d’autres cultures d’aliments pour les animaux qui sont récoltées et séchées au soleil avant consommation

Risque moyen
- Pâturages et cultures fourragères herbacées ;
- Cultures pour la consommation humaine qui ne sont pas en contact direct avec des eaux usées, à condition que rien ne soit ramassé sur le sol et que l’irrigation par aspersion ne soit pas utilisée (par exemple l’arboriculture, les vignes) ;
- Cultures pour la consommation humaine après cuisson (par exemple les pommes de terre, l’aubergine, la betterave) ;
- Cultures pour la consommation humaine dont la peau n’est pas mangée (par exemple les agrumes, les bananes) ;
- Toutes les cultures non identifiées comme « Risque élevé » si l’irrigation par aspersion est utilisée.

Risque élevé
- Tous les aliments consommés crus ou cultivés en contact étroit avec les effluents des eaux usées (par exemple la laitue et les carottes) ;
- L’irrigation par aspersion, indépendamment du type de culture, à moins de 100 m des zones résidentielles ou de lieux d’accès public.

5) En quoi consiste ce procédé ? Comment est-il mis en oeuvre ?

Le recyclage des eaux usées consiste à utiliser de l’eau, qu’elle soit prétraitée ou non, pour de nouveaux usages (irrigation, pâtures,golfs, jardinage, refroidissement de centrales électriques…) plutôt que de la rejeter dans l’environnement.
Les eaux usées contiennent des matières solides, des substances dissoutes et des microorganismes. Ces derniers sont la cause principale des restrictions imposées à la réutilisation des eaux usées car ils contiennent très souvent des éléments néfastes pour la santé les micropolluants organiques contenant des agents pathogènes comme des virus, des bactéries, des protozoaires et des helminthes. La charge en agents pathogènes dans les eaux usées brutes est essentiellement fonction de l’état sanitaire de la population à l’origine de ces eaux usées. Le risque d’infection d’origine hydrique par ces agents pathogènes est dépendant d’un ensemble de facteurs qui incluent :
- d’une part leurs concentrations, leur dispersion dans l’eau, la capacité de ces agents intestinaux à survivre dans l’environnement, la qualité du traitement d’épuration de l’eau,
- et d’autre part la dose infectante, l’exposition et la susceptibilité de la population exposée.

En général, des traitements (primaires et/ou secondaires) sont nécessaires pour que l’eau usée atteigne le niveau de qualité requis pour une nouvelle utilisation. Donc, en plus de tous les aspects concernés dans la conception d’un système d’irrigation traditionnel, il faut bien définir les aspects liés à la captation et le traitement de l’eau pour mettre en œuvre un système d’irrigation qui utilise de l’eau recyclée.

Les étapes suivantes donnent une vision sur la démarche à suivre pour la mise en œuvre :

L’identification et la caractérisation des objectifs et besoins du système d’irrigation : les cultures irriguées, les concentrations acceptables de substances chimiques et microorganismes, le débit d’eau nécessaire à l’irrigation (et sa variation selon l’heure du jour et l’époque de l’année). Les concentrations acceptables ainsi que les débits sont déterminés en fonction des types de cultures concernés, les caractéristiques du sol et le climat dans la région. 
L’identification et caractérisation des sources d’eau recyclée en potentiel : les concentrations de substances chimiques et microorganismes présents et les débits d’eau disponibles.
Les caractéristiques d’un éventuel traitement additionnel nécessaire : ce niveau doit être défini en fonction des conditions des eaux usées à être recyclées et des besoins du système d’irrigation.
La nécessité d’installations de stockage et distribution de l’eau recyclée. Des installations de stockage peuvent être nécessaires pour assurer la disponibilité de l’eau face aux oscillations de l’offre et de la demande. La distance entre la source et le site à irriguer est un des facteurs qui va influencer la faisabilité économique du projet.
Les impacts environnementaux du système d’irrigation, surtout en ce qui concerne l’utilisation du sol, les conditions hydrologiques de la région et les impacts sur les nappes phréatiques.

Les eaux usées (épurées ou non) contiennent en proportions très variables des substances nutritives pour les végétaux comme l’azote, le phosphore, le potassium et les oligo-éléments, le zinc, le bore et le soufre. Dans certaines circonstances, ces éléments peuvent être en excès par rapport aux besoins des végétaux et provoquer des effets négatifs, aussi bien au niveau des cultures que des sols. Un contrôle périodique de la quantité de nutriments présents dans l’effluent est néccéssaire pour tenir compte des besoins en fertilisants des cultures irriguées. (sources Afssa et Fndae)
La présence de certaines substances dans l’eau doit être bien maîtrisée pour garantir une bonne qualité du système d’irrigation.

Il faut surtout connaître les éléments suivants :

Salinité : des niveaux élevés de sels dans le sol peuvent entraîner une réduction de la productivité de la plantation, et même amener à l’échec total de celle-ci. La quantité de sels présente dans l’eau utilisée pour l’irrigation affecte directement la salinité du sol. Cette quantité peut-être mesurée à partir de la conductivité électrique de l’eau ou de la quantité de solides dissous totaux.
Sodium : une proportion de la concentration de sodium par rapport aux concentrations de magnésium et calcium élevée (au-dessus de 3 : 1) peut réduire la perméabilité du sol. La croissance des plantes est donc affectée par l’indisponibilité d’eau dans celui-ci. Les eaux usées présentent en général cette proportion particulièrement élevée.
Chlore : des concentrations de chlore peuvent endommager la plupart des plantes à partir de 5 mg/l et les plus sensibles à partir de 0,05 mg/l. Les eaux usées peuvent présenter des niveaux élevés de chlore en fonction de traitements effectués en amont.
Éléments-traces de métaux lourds : des concentrations élevées de nickel, cadmium, molybdène, zinc, cuivre, plomb et mercure peuvent être toxiques pour de végétaux et d’animaux, ces derniers affectés par la propagation de certains de ces éléments au long de la chaîne alimentaire.

Les caractéristiques de l’eau utilisée pour l’irrigation vont influencer aussi la définition des mécanismes distributeurs d’eau. Les mécanismes de dispersion par inondation ou écoulement de surface peuvent entraîner la décharge d’eau d’irrigation dans des zones inappropriées. Par ailleurs, les techniques d’aspersion provoquent la dispersion des gouttes d’eau usée, ce qui peut poser des problèmes pour les agriculteurs et pour des zones résidentielles ou d’accès public dans les proximités. Ce type de technique est même interdit dans certaines régions pour des aliments consommés crus, une fois que l’eau usée entre en contact direct avec le produit. Les aspects liés au choix des méthodes d’irrigation sont résumés au tableau suivant :

Méthode d’irrigation Facteurs qui affectent le choix Mesures spéciales pour l’utilisation des eaux usées
Inondation Coût plus faible Protection complète des agriculteurs et tous ceux
qui prendront contact direct avec le produit,
y compris les consommateurs
Pas de dénivelé nécessaire
Faible rendement
Faible protection de la santé
Ecoulement de surface Faible coût Protection des agriculteurs et tous ceux qui prendront contact direct avec le produit, y compris les consommateurs
Dénivelée nécessaire
Faible rendement
Protection moyenne de la santé
Aspersion Coût moyen à élevé Distance minimale des maisons et des zones d’accès public
Rendement moyen
Pas de dénivelée nécessaire Restrictions de qualité de l’eau
Faible protection de la santé Filtration pour éviter l’obstruction des mécanismes
 Micro-irrigation Coût élevé Filtration pour éviter l’obstruction des mécanismes
Haut rendement
Rendement agricole élevée Pas de mesures de protection nécessaires
Meilleure protection de la santé
Tableau 1 : Facteurs qui affectent le choix des méthodes d’irrigation et mesures spéciales pour l’utilisation des eaux usées. (adaptation d’une source de la FAO)


 


Affiche alertant à l’utilisation d’eau recyclée
pour l’irrigation Source https://www.cityofrockledge.org/168/Wastewater

6) Difficultés particulières et remèdes et/ou précautions éventuelles à prendre

Lors d’un projet d’irrigation par recyclage des eaux usées, il sera peut-être nécessaire de sensibiliser toutes les parties concernées aux enjeux existants. Premièrement, il faut garantir la sécurité des consommateurs et des fermiers, en démontrant que leur santé n’est pas mise en danger. Deuxièmement, il faut s’assurer que les impacts environnementaux seront bien contrôlés. C’est seulement par une approche de transparence qu’il sera possible d’avoir l’acceptation de la population, des fermiers et des organismes gouvernementaux concernés.

Dans le but de protéger la population, une règle conventionnelle adoptée quand il s’agit de recyclage des eaux usées est la peinture de la tuyauterie et des équipements d’une couleur distincte, d’habitude le violet. L’utilisation d’eau recyclée doit être signalée aussi par des affiches et panneaux.

7) Principaux avantages et inconvénients

a) Avantages

L’utilisation des eaux usées constitue une alternative pour la pénurie d’eau qui frappe certaines régions de la planète.
Pour les agriculteurs, ça représente une source d’eau fiable. En outre, l’eau recyclée contient en général des nutriments qui permettent une réduction des coûts de fertilisation.
Le recyclage des eaux usées permet la réduction de l’impact environnemental causé par la décharge d’effluents dans le milieu naturel.

b) Inconvénients

Des modifications importantes des stations d’épuration peuvent être nécessaires pour assurer le niveau de qualité de l’eau requis pour l’irrigation.
Une des principaux désavantages de l’irrigation par recyclage des eaux usées sont les restrictions liées aux enjeux de santé publique. Ça peut poser des problèmes bureaucratiques, politiques et d’acceptation par l’opinion publique.
Un projet d’irrigation utilisant l’eau usée comme source n’est pas toujours économiquement rentable.

8) Coût

Les coûts directs d’un système d’irrigation par recyclage des eaux usées sont liés principalement à l’infrastructure nécessaire à la mise en œuvre du projet. Dans ce cadre se trouvent les coûts d’une éventuelle modification, amplification ou création de stations de traitement d’effluents, les canalisations et réservoirs nécessaires et l’adaptation des mécanismes distributeurs d’eau (surtout en ce qui concerne les techniques d’aspersion et micro-irrigation). Il faut penser aussi aux coûts d’opération et maintenance du système de traitement et de distribution. 
Parmi les coûts plus ou moins indirects, on peut citer les coûts des restrictions à la production agricole, les coûts de protection des agriculteurs et des autres ouvriers concernés, des coûts liés à la santé publique, aux effets à long terme sur le sol et des coûts environnementaux (très spécifiques, liés en général à une discontinuité du cycle de l’eau).
D’autre côté, les bénéfices générés par ce type de système d’irrigation peuvent être la réduction des coûts de captation d’eau (principalement les coûts de pompage), des économies sur les fertilisants et sur le traitement de l’effluent (si les nutriments ne sont pas enlevés), la réduction de pertes entraînée par une meilleure fiabilité du système et finalement, les bénéfices environnementaux (qui en général sont plus importants que les coûts) : la réduction de la captation de l’eau des rivières et nappes et de la pollution causée par la déversement d’effluents dans le milieu naturel.

9) Etudes de cas

Plusieurs documents relatent des experiences interessantes d’irrigation par utilisation d’eaux usees dans des pays africains. ils peuvent etre consultes (en ligne) sur :

- Pour le Burkina Faso :Résumé d’une étude de l’Ecole Polytechnique de Lausanne (Suisse)
http://infoscience.epfl.ch/record/1...

- Pour le Maroc : document sur une expérience pilote au Maroc :
https://www.agrimaroc.net/2018/06/17/reutilisation-des-eaux-usees-en-agriculture-au-niveau-des-petites-et-moyennes-communes/
- Pour l’Algérie :
http://www.wademed.net/Articles/203...

L’Espagne est aussi un pays qui utilise souvent le recyclage des eaux usées pour faire face à la pénurie de ressources hydriques qui frappe certaines régions du pays. La station d’épuration d’effluents de Castell-Platja d’Aro, inaugurée en 1983 aux environs de Barcelone, fournit de l’eau aux agriculteurs de la région depuis 2003. La station produit 5,50 Mm3 d’effluent par an, dont 0,98 Mm3 est traité au niveau tertiaire. Ce dernier est utilisé pour l’irrigation agricole (0,216 Mm3/an), l’arrosage de terrains de golf (0,510 Mm3/an) et le remplissage des nappes phréatiques (0,213 Mm3/an). Le reste de l’effluent est déchargé dans la mer.
Les fermes dans la région produisent principalement du lait, ses propres fourrages, des céréales (hiver) et du maïs (été). Dans la municipalité de Llagostera, les fermiers doivent pomper de l’eau à des profondeurs qui vont de 80 à 120 m. En plus, il faut partager l’eau disponible avec les autres utilisateurs résidentiels et les autres fermiers des proximités. L’utilisation de l’eau recyclée assure la disponibilité d’une source d’eau pour les fermiers.
D’un côté les terrains de golf nécessitent d’une eau traitée au niveau tertiaire, une fois qu’il s’agit d’un lieu d’accès public où il y a un contact direct avec la pelouse. D’autre côté, les traitements tertiaires enlèvent les nutriments qui seraient bénéfiques à l’agriculture. L’Agence de l’Eau de la Catalogne a donc deux options : produire deux effluents à deux niveaux de traitement distincts ou un seul effluent traité au niveau tertiaire. La première option n’est pas économiquement avantageuse, à cause des coûts élevés pour avoir deux lignes de traitement distinctes, qui ne seraient pas justifiés par l’économie en fertilisants artificiels qui serait réalisée par les fermiers.
L’option d’augmenter la production d’effluent traité à un niveau tertiaire, construire nouvelles stations de pompage, installer nouvelles canalisations et réservoirs demanderait un investissement de 7,7 millions d’euros, dont 16% pour les installations de traitement, 48% pour les canalisations et 3% pour les installations de stockage. Cet investissement serait partagé proportionnellement par les utilisateurs (agriculteurs, terrains de golf, municipalités et l’Agence de l’eau).
La disponibilité et de la fiabilité de l’eau recyclée et la réduction des coûts de pompage rendent l’investissement attractif pour les agriculteurs et pour les terrains de golf. En outre, l’initiative permet de réduire la pression sur les nappes phréatiques dans la région et la quantité d’effluents déchargés dans la mer (il faut tenir en compte qu’il s’agit d’une région touristique).

10) Où s’adresser pour trouver davantage d’informations - Bibliographie

a) Sites Internet

- FAO (Food and Agriculture Organization of the United Nations). The wealth of waste : The economics of wastewater use in agriculture. [en ligne] FAO : Rome, 2010. Disponible sur : http://www.fao.org/docrep/012/i1629...
 Autre document disponible sur : http://www.fao.org/docrep/w0312f/w0...
- FNDAE : document intéressant, plus ancien mais plus détaillé sur le sujet : http://www.fao.org/docrep/w0312f/w0...
- AFSSA : « Réutilisation des eaux usées traitées pour l’arrosage ou l’irrigation » :
https://www.anses.fr/fr/system/files/EAUX-Ra-EauxUsees.pdf
- SENAT : Rapport parlementaire - La réutilisation des eaux usées urbaines. In : Rapport sur la qualité de l’eau et de l’assainissement en France (Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques : 2003.) Disponible (en ligne) sur : http://www.senat.fr/rap/l02-215-2/l...

b) Bibliographie

- Manuel sur le traitement de l’eau contenant les aspects techniques très détaillés : MWH. Water Treatment – Principles and Design. 2 ed. John Wiley and Sons : New Jersey, 2005.

- Site de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture : des rapports sont disponibles en anglais et français. http://www.fao.org/knowledge/goodpr...



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